22 janv. 2008

En novembre dernier, le réputé intellectuel uqamien, Michel Freitag, se donnait en conférence devant un cercle élargi de jeunes ambitions intellectuelles. Un envoyé spécial de l'Ostie de Marde était là. Voici quelques tranches d'esprit qu'il a rapportées.

MR. FREITAG INTELLECTUEL DE SALON

L'intellectuel Freitag a un problème, il a des idées et il les aime. De profil c'est presque un allié théorique (préciser théorique est important), il déteste le capitalisme, la logique technocratique et la pensée technicienne, le marché et ses lois, il considère (comme tout pratiquant de la théorie sociale) que la vie vaut la peine d'être vécue, qu'elle suppose du collectif, et de la vie... Nous savons de quoi il parle, nous pourrions être d'accord. Mais, monsieur Freitag aime tellement les concepts qu'il s'en est fait des lunettes pour observer l'histoire. Il fait de l'histoire à partir des concepts, leur lente germination, leur apparition et développement dans l'histoire de la pensée sur la très longue durée..

J'aimerai l'avoir plus écouté dans ses longs préambules mais il remonte jusqu'au moyen-âge, à la dynamique du christianisme qui légitime la volonté humaine, prépare l'autonomie de la raison et la gloire de l'individu, tout ça sur le long terme. Il ne dit rien de nouveau ici mais c'est impressionnant quelqu'un qui va chercher les humanistes pour expliquer le capitalisme en partant du christianisme. Cela doit aider au silence religieux observé pendant tout son discours. Mais justement, pour aller chercher ses concepts, il n'y pas d'Histoire. Aucune rupture, les dynamiques étudiées vont comme l'eau de la rivière, l'homme surfe sur Héraclite... Les révoltes, révolutions, mouvements sociaux n'ont jamais eu d'impact hormis celui d'accélérer le développement que retrace Freitag. Il n'en a d'ailleurs pas parlé une seule fois, la communauté, le collectif a été complètement détruit au 19ème et ensuite d'après lui, mais toujours d'après lui sans aucune résistance ou alternative. Le mouvement social ne l'intéresse de toute façon pas beaucoup, il l'a confirmé un peu plus tard.

La logique du capitalisme est par contre très méchante, comme un « grand Tout » avançant dans l'histoire, celle-ci a pu bégayer, mais n'a jamais perdue de vue Hegel et la totalité. Il n'est pas question de rupture, même la révolution industrielle et ses bouleversements ne sont que la poursuite de dynamiques déjà en place. Freitag a le mérite de ne pas faire dans l'événementiel, la succession de dates dans son histoire à partir de concepts l'événement n'existe pas. Lorsqu'il parle de la liberté chez les grecs c'est encore du point de vue des idées et des idées seulement.. Tout les cités grecques se fondent sur un empire, une domination sur les esclaves pour commencer et sur quelques petites cités voisines ensuite.. Athènes avait une flotte immense qui lui permettait de faire payer un tribut à toutes les cités de la mer Egée. Et surtout, une cité n'avait rien en commun avec nos mégalopoles. L'idéal grec était une cité de petite taille, peu de citoyens, pour rendre possible la vie politique justement et cette liberté participative que notre intellectuel évoquait. Cette participation était rendue possible par l'agora, des amphithéâtres, des espaces permettant une discussion, et par l'esclavage pour avoir du temps libre.

De la même façon, Erasme peut être brillant humaniste, il n'a jamais connu le i-pod ou les micro-ondes. La pensée des anciens est avant tout radicalement autre, nous pouvons partager des problèmes, avoir épousé les mêmes querelles, leur monde n'est pas le nôtre. Et il est douteux que l'on puisse simplement considérer leurs idées sans tenir compte de leur réalité. D'ailleurs quand Freitag évoque la dynamique du christianisme comme sortie de l'immanence divine, on peut aussi se demander qui a commencé. Aux premiers temps du développement du commerce, l'Eglise s'oppose à l'argent et ses valeurs sociales, elle déteste le principe du prêt à intérêt. Ce n'est qu'ensuite qu'arrive la cavalerie avec Thomas d'Aquin et Pierre Olivi pour justifier théologiquement les débuts du capitalisme. Le monde a changé, il a vite trouvé ses intellectuels pour montrer que tout était normal et que rien n'avait changé. L'intellectuel Michel Freitag fait le même travail, il pleure la disparition de tout désir voire même possibilité d'un « agir » politique mais construit une belle théorie de l'inaction permanente.

Une question lui a été posée: « pourquoi n'êtes-vous pas anarchiste? »....

Remarque: il fallait une caractère héroïque pour lui poser une question, on lui offrait aussitôt la possibilité d'une réponse de 20 longues minutes minimum.. Mais c'est selon lui « une discussion ».

PARTIE CAPITALE (c'est à dire importante mais en même temps capitaliste) : Il fait aux anarchistes le même reproche qu'Horkeimer de Francfort, demander la disparition immédiate de l'Etat est idiot, il faut des médiations (et l'Etat en est une belle), passer par ces médiations pour construire une critique et une autre société puis ensuite peut être pourrons-nous faire disparaître l'Etat. Monsieur Freitag veut sauver cette médiation. Les anarchistes sont encore plus idiots aujourd'hui qu'autrefois selon lui puisque l'Etat est actuellement notre seul « rempart » contre la logique néo-libérale et toutes ses conséquences (que nous connaissons bien) sur nos vies. Pour lui, et il a raison là-dessus mais ce n'est rien de nouveau, les anarchistes se sont toujours appuyés sur des communautés fortes, liées, ce qui était le cas au 19ème siècle mais plus du tout aujourd'hui. Il donne l'exemple des paysans espagnols en 1930, des artisans qualifiés au 19ème, on peut en trouver beaucoup. Alors aujourd'hui, il faut sauver l'Etat et essayer de construire des instances mondiales autre que l'OMC, que l'ONU, qui soient réellement efficaces et légitimes. D'ailleurs cette communauté se définir selon ses mots par une « norme très stricte ».

Il affirme ensuite que pour l'action politique il y a deux solutions (mais il n'en donnera qu'une, il est bien embêté pour l'autre):

-l'action individuelle, communautaire qui tente de saboter, de ralentir, d'empêcher le système. « Mais cela prend 500 ans » (citation mot pour mot)

Il est anarchiste dans l'idéal mais dans la réalité, si l'État disparaît demain, c'est la merde, l'idéal anarchiste aujourd'hui est impossible. Nous pourrions le remercier de nous informer du haut de tous ses livres qu'une révolution anarchiste n'éclatera pas demain, que le grand soir n'arrivera pas avant longtemps. Et surtout de reprendre la théorie tant utilisée par nos ennemis (pratiques et théoriques, les vrais ennemis) de l'utopie et du réel...

C'est absolument catastrophique. Affirmer que l'action individuelle, ou communautaire, ne sert à rien est complètement fou, et irresponsable. D'une part il associe « individuelle » avec la notion d'engagement politique dans la réalité. Il adore tout opposer en bon gros dialecticien, la communauté qui impose sa norme et l'individu, individu qui de toutes façon s'oppose au collectif, on pense tout en termes binaires et on se trouve très brillant pour être si intellectuel.

Il ne prend en compte aucune production de subjectivité, rien de ce qui peut arriver dans la lutte, dans nos vies... Il faut construire des instances.. On se demande en quoi une ONU plus proche de nos idéaux va nous aider dans la vie quotidienne...

Il adore cracher (et les autres avec lui) sur les anarchistes qui veulent détruire toutes les institutions et dénoncent l'État comme une oppression envers la vie nue. Pourtant, là aussi c'est idiot, l'Etat tel que nous le connaissons existe depuis peu. Il ne possédait pas toutes les infrastructures et alliés qu'il a aujourd'hui, on ne peut pas le considérer comme ayant toujours eu la même forme et le même poids sur la vie de ses citoyens, mais c'est peut être un peu trop historique. Si l'on considère que l'Etat moderne né au 18ème et au 19ème siècle, tous les économistes et les dirigeants dès le départ réclament la liberté du marché, le libre commerce. TOUJOURS.

Cette exigence même est née avec l'économie, Adam Smith et consorts. Le « néolibéralisme» n'est pas une nouveauté radicale. Tout ce qui constitue l'Etat providence, ou les concessions économiques comme le BS, ou autre, ont été arraché par la lutte « populaire » justement. TOUTES. Des congés payés au service de santé, évidemment pas toujours sous la forme désirée, mais toujours par la lutte, ou par la menace de celle-ci. On va faire quelques concessions pour effacer les raisons d'une trop grande révolte.

Mais Freitag ne se prononce pas là-dessus. L'état est pourtant dès le départ essentiellement une instance pour administrer, pour gérer et organiser la population pour favoriser la croissance.. Et la police et l'armée.

D'ailleurs, ceux qui veulent construire des rapports de force, affronter directement la police sont le plus souvent des marxistes ou maoïstes, « on va faire tomber la bourgeoisie », qui tout comme Freitag, ont lu Hegel...

Notre intellectuel de salon ne parle pas non plus de l'oppression bien réelle que L'état peut exercer sur « certaines couches de la population » (pour parler comme un sociologue). Les immigrants clandestins et les plus pauvres ont peut être de bonnes raisons d'en vouloir à l'Etat...

Il s'entendrait bien avec Negri, lui aussi dit que L'état nation a disparu (ou est en train) et veut construire des instances mondiales, des luttes mondialisées. Negri, lui, ne tient pas à sauver L'état-nation par contre, mais je suis sûr qu'ils pourraient s'entendre. Parler de monde, d'instances mondiales, permet à ces auditeurs de qualifier notre intellectuel québécois de penseur de la totalité. Plus je vais penser gros plus je suis beau. Si j'englobe tout le réel en le sortant de toute réalité, je suis une totalité à moi tout seul.

Il pense derrière son bureau, il se dit que les militants se trompent, que ce qu'il faut c'est faire ça, tout en disant absolument n'importe quoi. En outre, toutes les luttes récentes ne veulent pas détruire L'État mais le changer, le sauver, on demande de l'éducation gratuite, des services publics.. Cela ne me paraît pas tendre vers une disparition de l'Etat.

Monsieur Freitag s'est perdu dans sa théorie, plus il se regarde penser en totalité, plus il s'éloigne de notre réalité. L'action « prend 500 ans ». Tout est dit ici, on ne sait rien du « quoi faire » ou du « comment faire ». « cela prend 500 ans ». TA GUEULE CONNARD. Même si cela prend 500 ans, cela peut amener des changements entre temps, et une vie un peu plus belle, si le pouvoir ne tombe pas d'un coup, il peut être ébranlé.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

bien "à trop philosopher ..."

C'est reculer que d'être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l'anarchie enfin va triompher

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Michel Freitag est mort maintenant (comme pierre bourdieu), les armes intellectuelles qu'il a laissé peuvent être utilisées par les libertaires et les anars.

Unknown a dit…

Moi, je l’ai bien connu, ce gentil géant. Depuis 35 ans pour tout dire. Il n’a jamais eu d’autre souci que de soutenir une vraie libération de l’esprit. Échapper à l’asservissement des pensées toutes faites. Je ne l’ai jamais vu assis sur son cul, mais plutôt aux premiers rangs de bien des batailles concrètes dès qu’elles se présentaient.
François Girard, Montréal.