22 janv. 2008

De belles lignes


Avoir l’impression d’un fil de nylon enfoncé dans la peau ; un de ces petits fils tout de même doux, mais qui coupe tout de même pas mal. On pourrait aussi utiliser l’image d’un fil de nylon enrobé de diamant. Les diamants c’est beau, c’est cher, mais c’est la matière la plus effilée qu’on retrouve aux alentours. C’est vraiment ça, le point. C’est de ressentir quelque chose comme une impression de déjà vu qui fait qu’on se sent pas bien pantoute. Comme le souvenir, je sais pas, d’une tache verdâtre de rouille dans le fond d’un bain trop petit construit en hâte dans un logement construit en hâte, dans un quartier construit en attendant quelque chose, dans une ville construite pour l’instant, en attendant on sait pas quoi. Cette tache qui n’aurait pas dû être là, de rouille ou de quelque chose d’autre, elle imprime un non lieu d’être désagréable ; eh bien c’est la même chose que d’avoir une impression de ne pas être bien pantoute. Et les fils de nylon enrobés de diamant, ils sont ce qui se passe au quotidien. En bref, quand on sort dehors, dans les rues, sur le trottoir, c’est une impression de tâche verdâtre, de non lieu qui est en attendant ; derrière chaque mur qu’on regarde du trottoir, y’a au moins dix personnes qui dorment, qui bouffent ou qui fourrent, fuck !

Si j’appuie trop fort sur des cordes de nylon, j’ai un malaise cutané momentané sur la surface des doigts : rien de vraiment grave, ni de dommageable. Par contre, ça peut finir par couper. C’est la même chose avec le fait d’être dehors : rien de dommageable, rien de dangereux, jusqu’à ce que tu frottes trop fort le malaise ; c’est là que tu peux disparaître comme je sais pas quoi, peut-être comme cette tache verdâtre dans le bain. Un bonhomme criait l’autre jour : « j’ai envie de me récurer en public ».

Derrière chaque mur, derrière chaque vitre, y’a quelqu’un qui se cache, qui se terre et qui a la chienne de sa vie, constamment. Fuck ! Est-ce qu’on peut tenter d’arrêter d’émettre des sons ? Arrêtons d’émettre des sons, des putains de sons creux. Le problème avec le fait de fait de parler, c’est que souvent c’est seulement des résonances qui renvoient à quelque chose avant même qu’on ait le temps d’écouter. Tu me dis : « salut, ça va ? ». J’entends en voyant ouvrir ta bouche : « moment # 1 : étape de contact, référent code = ouverture du rituel » ; je réponds « oui, toi ? » : je n’ai rien dit, je n’ai que mis en branle le moment #2, afin que tu répondes « pas pire », ou plutôt : « moment #3=ambivalence et possibilité de mise en branle conceptuelle ; circulez ! ».

Comment ça se fait que la grande majorité des gens sont pas bien ? Pas bien du tout. Près à tuer. Je sais pas, mais tout le monde à l’air écoeuré, le moment de vide aujourd’hui, il est paisible : le quotidien est cynique et ridicule. J’ouvre le journal et je vois notre discours à nous tous mis en scène. « 80 % des gens d’HoMa réclament plus de patrouilles de police dans les petites rues la nuit ». Ça fait chier non ? Ce qui devrait se passer en fait, c’est que je journal se transformer en gros pénis avec une bouche édentée, qu’y se mette à chanter : « fuck, bande d’ostis d’cons, Léger&Léger a téléphoné à 150 ptits vieux en début d’après-midi la semaine dernière : y ont l’ostie de chienne, c’est normal qu’y veuillent plus de ti-culs hypernormés armés jusqu’aux dentiers dans des gros chars référentiels ! Vous êtes pas heureux »

Nous lisons le journal : notre parole est mise en scène. Notre parole, non pas vraiment ; notre chiffre, notre statistique vitale.

Les gens sont politisés, ils se sentent hors du pouvoir. Le pouvoir de la majorité, il est magique, le pouvoir réconfortant des petits groupuscules, il est comique. Il est comique parce qu’il est comme quelqu’un qui plante en pleine face : un mouvement mécanique qui échappe à l’agissant. En général sinon, le pouvoir est détesté. La seule façon de le faire respecter, c’est le massacre. En Occident on le connaît bien, les gens s’en foutent et le regardent avec un sourire en coin se mettre en scène et parler en leur nom. Ailleurs, on y est moins habitué, on se tue encore. Ici, il pète comme une bombe parfois, toujours une bombe. Les éléments déchaînés sont une bombe aussi. « Hey, pouvoir ! Prémunis nous contre les tornades ! »

Faut accélérer le mouvement de faillite des sons qui sont produits aujourd’hui. Tout va péter. Les cordes vont lâcher. Elles vont lâcher et on va pouvoir regarder les buildings dehors sans vouloir qu’ils s’écroulent. En jetant un œil dehors, tous ces buildings au loin sont dessinés au crayon. J’ai envie de dessiner un criss de gros temple pour les caves et d’aller y passer tout mon temps. Un temple qui serait toute la vie entière ? Non, faut pas dessiner un temple, car ce serait un temple, faut se redessiner soi-même, dessiner les autres ? Dessinons-nous tous ensemble… Tout péter, c’est ça que ça donnera. Sortir dehors et ne plus ressentir le malaise qu’on ressent quand y’a une tache de rouille verdâtre en dessous de notre cul dans un bain trop petit. C’est trop conceptuel, comme avancée ? Ne plus sentir que les cordes en diamant vont nous couper en morceaux. Se sentir libre de se sentir libre sans attacher à cette liberté un concept ou un référent. « Je me sens libre parce que j’ai fini de récurer ma chiotte=temps non programmé=temps libre=liberté ». Non y s’agit pas de ça. Et puis faudrait peut-être arrêter de projeter en avant la nécessité de trouver des nécessités. On fout pus rien pendant que le monde tourne en osti.

Fait chier non ? Tout le monde capote à divers degrés. Détruisons ce qui fait que certains arrêtent de s’enrager de vivre.

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