5 sept. 2007

De La Sociocritique Marxiste

Gramsci disait : « L’épistémologie doit aller

au devant des mouvements sociaux ». C’est ainsi qu’il renoue la tradition herméneutique marxiste avec la moitié ombragée de la lune sociale, la superstructure. Soumettre au jugement de l’histoire les œuvres de la culture ne peut se faire qu’en voyant en quoi elles sont un produit de l’histoire, et donc en quoi elles ne peuvent qu’être également dialectiques. La démarche herméneutique se fait en trois temps, d’une part par l’assertion, d’autre part par le contraire absolu de cette assertion et enfin par la résolution du conflit ainsi créé en leur accouplement (leur « achèvement »), c’est-à-dire la régénérescence paragonale des lignes de force qui, en fuite, se sont retrouvés.

Or, le Grand refus s’est obstinément tenu à ne retenir que l’oscillation journalière entre les instances protagonistes, sans tenir l’énergie qui les antagonise pour une substance en soi, devenant elle aussi l’objet d’une dialectique. Lukacs et consorts n’ont pu d’abstenir de cette grossièreté épistémique, se heurtant à l’écueil du marxisme de vulgate, qui, dans l’optique critique de Hannah Arendt, pourrait s’assimiler théoriquement à la

praxis totalitaire. Les causes de ce glissement de terrain-erreur, qui hante encore aujourd’hui la sociologique de la culture, sont plurielles. Forbes analyse le problème à partir de l’origine ethnique de György Lukacs, les hongrois ayant toujours été portés vers le fascisme : « without a doubt a line can be drawn between the events of 1956 and the theory put forward by Lukacs at the same epoch, as they were both of nationalist determeaning. »(1) Il va sans dire qu’une approche raisonnée du problème doit se faire dans une résolution strictement internationaliste. C’est en appel à ce renouveau de la sociocritique marxiste, dans le sillon d’un emblématisme judéisé et en collaboration avec nos détracteurs, que nous situons ce présent essai.

À prime d’abord, il importe de contextualiser l’objet d’étude tout de suite après l’avoir identifié. Nous parlerons du groupe musical « populaire » The Backstreet Boys, et tout spécifiquement leur platine « I’ll Never Break Your Heart ». Le contexte est celui-ci, les années 1996, dans ce qu’on pourrait appeler l’ère post-Reagan, l’entre-deux-guerres-en-Irak, où le bouillonnement idéologique est à son pinacle, lâché sans bride dans un univers médiatique préméditant. Cet univers, que Guy Debord appelle « La Société du Spectacle" (2) est le terreur d’une pléthore de productions symboliques qui s’incrivent parfaitement dans cette immanentiation du Sens (3), dont le groupe The Backstreet Boys est l’expression la plus absolue. Ce dernier groupe dont il est question, c’est-à-dire The Backstreet Boys, se dit littéralement dans la langue de Molière « les garçons de la ruelle ». Il y a déjà là matière à réflexion. Une ruelle peut être considérée comme une espace de second ordre, qui se situe à la limite entre la fonctionnalité, la valeur d’usage, vu qu’elle sert de voie d’accès aux habitats urbains par les automobiles, et l’inutilité, la valeur de vidangeage, vu la quantité nettement faible des automobiles qui l’empruntent. C’est ce qui fonde la ruelle comme indécidabilité, lui conférant un caractère attribué par Georges-Didi Übermann à la cire, dont on n’est jamais certains si elle est molle ou dure. De plus la ruelle est également l’espace d’ombrage qui se soustrait aux technologies de surveillance de la société de contrôle, c’est ce refuge où ceux qui sont dépouillés de leur humanité cherchent une parole, une place dans le monde, une situation signifiante, sans cependant la trouver. De plus la ruelle est également ce lieu de dépravation, où les pires caprices de la nature humaine ont libre cours, c’est-à-dire les drogues dures, l’alcool, la schizophrénie, le traumatisme de guerre, la néoténie manquée, les courses à vélo, la sédition, le chantage, l’usurpation de la propriété publique, le manque d’hygiène, la répétition à outrance du même mot, la perte d’organes vitaux, les « jeux de vérité », la prostitution, les enfants perdus, les blasphèmes, le désenchantement du monde, la construction ou la mise en pratique d’objets vraiment illégaux et le travail au noir. Il devient alors évident pour notre propre analyse que dans ces garçons qui sont dans cette ruelle, ces boys qui sont dans cette backstreet, se cachent nos vieux ennemis : le Lumpen-prolétariat.

« I’ll Never Break Your Heart » s’ouvre ainsi : Baby, I know you're hurting. La classe à laquelle la monade est adressée agonise, elle est prise sous un vif choc. Le référent baby est un marque d’affection, très populaire dans le monde anglo-saxon, qui est en somme une réduction projetée du récepteur vers l’état de l’homme naissant, le bébé. Un bébé, comme le soutient le texte De papa déballant le débat de bébé, est la source d’une intense affection pour quiconque s’en préoccupe, il est, littéralement, désirable, en tant qu’il représente symboliquement la durée. Un bébé qui naît a la caractéristique sui generis de provoquer l’impression réelle ou illusoire qu’il a plus de temps à vivre, donc la possibilité de plus d’expériences (ce qui est hautement désirable pour l’être humain, depuis L’Épopée de Gilgamesh jusqu’à la modernité tardive, ou modernité avancée ou post-modernité), que celui qui le regarde ; sauf bien sûr si cette personne qui le regarde est un bébé lui-même, ce qui est néanmoins peu probable, vu que les bébés ont des capacités perceptives mutilées qui les empêchent de distinguer un bébé en tant que bébé et de procéder ainsi à l’objectivation nécessaire au cheminement intellectuel mentionnée précédemment. Bref, les Backstreet Boys, dès l’incipit, annoncent leur précognition pour une certaine classe agonisante. Quelle est cette classe ?

Répondre à cette question serait intrépide avec le peu d’informations données par la première phrase de la complainte. La logique eschatologique du Capital a fait se succéder des souffrances pour toutes les classes, de la paysannerie avec l’expropriation de leurs terres, au clergé avec l’expropriation de ses icônes et de ses biens (à travers le protestantisme), en passant par le prolétariat (sur lequel il n’est point besoin de revenir) et la noblesse déclassée jusqu’à la bourgeoisie elle-même (pensons à la révolution cubaine, d’où des centaines de bourgeois furent contraints de s’échapper en bateau). Voyons donc plus avant : right now you feel like you could never love again – now all I ask you is for a chance to prove you that I love you.

Il apparaît avec évidence que le lumpenprolétariat projette une alliance politique avec la classe sociale visée ; mais ceci ne nous avance guère dans l’élucidation de cette dernière puisque le lumpenprolétariat étant la classe la moins bonne, toute alliance lui serait fructueuse. From the first day - That I saw your smiling face Honey, I knew that we would - Be together forever : le mot-clé ici est smiling (souriant). La classe érotisée est donc déjà pourvue d’une relative aisance : sa douleur est doublée d’un confort (en vertu duquel elle se fonde en tant qu’être-au-monde-dans-le-monde). Cette classe est ben. Comment peut-on être ben et afficher un sourire lorsqu’on est vêtu de haillons et qu’on martèle des métaux lourds, je vous le demande ? Comment peut-on être ben lorsqu’on se courbe l’échine dans des champs à manger les pissenlits par la racine ? Comment peut-on être ben lorsque nos privilèges traditionnels reliés à des critères familiaux ont été substituées par une méritocratie économique, bref lorsqu’on est déclassés hiérarchiquement ? Nous avons franchi un pas herméneutique : il ressort de toute évidence que la classe avec laquelle le lumpenprolétariat propose une mise en commun de la puissance historique (4) est la bourgeoisie.

Il n’y a pas là de quoi s’étonner. Le délabrement du lumpenprolétariat, le fait qu’il vive dans l’espace et non dans le temps, le fait qu’il vive de ressources pénitentiaires, d’une purge de soi est coextensif de sa capacité de se laisser affecter par le scintillant (je reprends ici le mot de Lefevbre : glitter, tout en le francisant) (5) La bourgeoisie a le monopole du scintillant, que ce soit à travers l’industrie du papier d’aluminium, du miroir ou des autocollants, le fait est qu’elle l’a, que c’est indéniable, que c’est de toute éternité, et qu’un bourgeois lui-même ne saurait faire la démonstration du contraire. Ooh when I asked you out - You said no but I found out - Darling that you'd been hurt -You felt like you'd never love again : l’alliance a donc déjà été proposée par le protagoniste, se heurtant à un refus catégorique. La dialectique entre le refus catégorique de Kant, la reprise manifeste de la notion augustinienne de tempérance doublée de la doctrine épicurienne de la renonciation, caractéristique de l’ « herméneutique de soi » antique fondant le sujet dans sa liberté corrélative du maintien d’un domaine privée où la nécessité est reléguée, dialectique de ça donc avec l’esprit baccanalytique (comme dans philosophie de Bacchus + analytique + baccalauréat) qui traverse l’histoire comme l’Autre de la Raison depuis Diogène de Sinope jusqu’à Deleuze en passant par Spinoza et qui est tenue ici par le lumpenprolétariat qui désire, qui se lâche lousse (6) dans sa sexualité (les lumpenprolétaires sont reconnus comme étant très sexuels – tous les vidéoclubs XXX se retrouvent dans des ghettos souvent dangereux), cette dialectique en est une d’une très grande stabilité : elle renoue l’Apollon et le Dionysos que l’occident a refoulé comme son miroir dissociatif. Le moment de la première demande d’alliance ne peut-être que le régime Nazi, où le lumpenprolétariat avait voté pour la bourgeoisie pour qu’elle liquide les forces bolcheviques du territoire allemand.

I deserve a try honey just once - Give me a chance and I'll prove this all wrong - You walked in, you were so quick to judge - But honey he' s nothing like me. La défaite des fascistes prussiens fut amère pour la bourgeoisie, qui s’est vue imposée une social-démocratie édulcorant ses ardeurs impérialistes, elle hésite ainsi devant son prétendant, qui lui demande une nouvelle chance. Le refrain de la ritournelle, circulaire, évasif, envoûtant, rappelant la danse africaine, va comme suit : I'll never break your heart - I'll never make you cry - I'd rather die than live without you -I'll give you all of me - Honey, that's no lie. Le cri est plaintif, il fait peine à entendre, le désespoir lumpenprolétarien est patent, cette offre est sa dernière. Nous voyons se présager bientôt la fin du monde (7) dans cette chanson qui, il faut le répéter, date d’à peine dix ans. Il est néanmoins possible de s’acheter une île de 300 km aux Philippines pour 200 000 $.




(1)Forbes, Bob. Towards an anatomy of structuralist marxism - redefining love in the absence of gender. Bretford University Press. 1978. p.780

(2)Debord, Guy. La Société du Spectacle. Notons également que l’auteur s’est suicidé à cette même époque de la consolidation finale du « spectacle intégré » renouant diffusion et concentration de ce que Noam Chomsky appelle la « désinfomation » (voir Chomsky, Noam. The Desinformation)

(3)Freitag, Micheal. Contre l’avortement – pour une théorie générale du symbolique. Boréal. 1988.

(4)Arendt, Hannah. Il faut faire des distinctions. 10-18. 1955.

(5)Le débat autour de la raison d’être de la mise en anglais du terme scintillant chez Lefebvre ne vaut pas la peine d’être débattue

(6)voir De La Vérité

(7)Mascotto, Jack. En Plein dans la Gueule : la postmodernité. Presses Universitaires de Chicoutimi. 1985



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