13 oct. 2007

Leurs mots sentent le cadavre

A vez-vous lu Kant? Hegel? Weber? Marx? Nietzsche? Platon? Durkheim? Sartre? Descartes? Ça m’est déjà arrivé, mais j’essaie d’arrêter. Ça assomme l’esprit réflexif qui mijote en moi. Leurs mots me figent dans une abstraction qui ne bat pas au rythme de la vie. Leur horloge s’est brisée contre le mur du temps. Ils sont morts et leur exemple n’est pas véhiculé par leurs écrits. Leurs mots sentent le cadavre et nous enchaînent dans des conceptions erronées et des débats interminables qui appartiennent au passé. Juste d’en parler, ça m’épuise.

Un jour, pendant que je ne faisais qu’entendre une théorie sans l’écouter lorsque quelqu’un m’en parlais, j’ai pensé à une manière de déterrer ces morts et de constater qu’ils étaient effectivement morts, mais qu’ils ne pouvaient pas s’empêcher de vivre et que, inévitablement, je me retrouve en face de quelqu’un qui a besoin d’en parler. On cite ses paroles et le mort est bien content de vivre encore, insouciant, dans l’insécurité d’un quelconque lecteur.

Comment exorciser les morts-mots ? Partout, ils abondent et jaillissent de la bouche de ceux qui scrutent le passé à la recherche de l’ultime solution qui transposera la comédie humaine dans un décor idéalisé. Celui-ci a dit ci. Celui-là a dit ça. Ils nous enterrent de classiques à s’en asphyxier ! Des discours sur ci. Des essais sur ça. Et pourtant, combien d’ouvrages furent rédigés sur la joie ? Pas une analyse qui explique tout jusque dans les moindres détails. Pas quelque chose qui parle des malveillantes pulsions des humains ou des dédales de leur cortex. Pas un livre rempli de bon sens et de peur.

Pas une torture mentale sur papier. On n’écrit pas sur la joie. Quand on en a, on en profite et on ne veut surtout pas remplir la tête des gens avec nos quêtes inachevées.

J’vais leur dire ma façon de penser, à ces Grands Philosophes ! Sans intention freudienne (il faut toujours le ploguer quelque part, lui), je vais leur montrer que c’est pas parce qu’ils souffraient de quelque chose dans leur temps qu’il faut que je me tracasse avec leurs problèmes, spécialement lorsque c’est nous qui vivent et qui doivent se débrouiller avec tout ce que nos ancêtres ont fait en ayant le crâne bourré de ce qu’ils ont dit qu’il fallait faire dans le temps, pis que si c’était supposé régler des problèmes, ben on aurait pu besoin de lire ce qu’ils disent parce qu’on serait pu pognés avec les mêmes problèmes.

J’ai donc pris mon cellulaire pour appeler cet enfoiré de Spinoza. C’est le répondeur :

· - « Ce n’est pas parce que je ne réponds pas que je suis absent. Il suffit d’un seul moment de présence pour combler toutes les absences. Avez-vous déjà vu le monde sous l’angle de l’éternité ? BIP !

- Ca fait longtemps que je voulais te dire que tes livres sont plates pis que j’ai jamais réussi à en finir un seul ! » dis-je d’un ton sec. Ton vrai bien, il existe juste dans ta tête ! Pis mange un char !

J’ai raccroché, satisfait de ce défoulement inutile envers un fantôme de l’histoire.

Que voulait-il dire par ‘ l’angle de l’éternité ’ ? Je suis sorti méditer sur cette question en marchant, ignorant les voitures, les passants, les arbres. Je n’étais pas un corps ; j’étais une pensée pure dans un vol métaphysique qui me faisait oublier le béton sous mes pas et le vacarme de l’activité quotidienne qui défilait sans penser à Spinoza.

L’éternité est l’infini. Aurait-il gagné son droit à l’immortalité dans un fabuleux casino de justice karmique ? Ses mots sont-ils comme la gomme qui me colle à la semelle, celle qui fût mâchée jusqu’à ce qu’elle en perde toute saveur, toute passion ? Rien ne peut se mesurer à l’éternité. Mêmes ses mots seront érodés par le piétinement constant de la post-modernité. Un jour, il n’aura plus son mot à dire…

Après avoir regagné mon logis, je m’affaissai sur le sofa. Mon cellulaire reposait en plein centre du salon ; il avait probablement convulsé sur la table à café. Je le ramasse. J’ai un message. Je l’écoute. C’était le kamarad Kropotkine :

« Spinoza vient de m’appeler. Il peinait à retenir ses larmes. Tu pourrais démontrer plus de sensibilité dans tes rapports avec les autres. C’est par l’entraide et la protection mutuelle qu’une espèce obtient la possibilité d’atteindre un âge d’or, d’accumuler de l’expérience, de développer son intellect et des habitudes sociales positives. Ce qui assure le maintien de l’espèce, son extension et son évolution future. Avant de te lancer dans une œuvre de démolition, tu dois exposer ce qui pourrait remplacer ce que tu démolis »

Non mais de quoi j’me mêle ? Ça me purge de recevoir une leçon posthume qui m’incline à la culpabilisation. Je peux-tu avoir mes croyances sans vouloir que les autres croient à la même chose que moi ? Je veux juste démolir une charpente qui chambranle à cause d’un trop grand nombre d’interprétations. Pis lui, pourquoi il désire tant léguer une charpente mal entretenue à la postérité ? Si je démolis les témoins de l’histoire, c’est pas pour les remplacer par d’autres. Comme si j’avais assez de conneries à dire pour substituer toutes les conneries qu’on a dit. Comme si je pouvais offrir un âge d’or pour qu’on s’aperçoive que l’âge d’or n’a jamais existé. Comme si je me considérait plus brillant que ceux qui donnent des leçons pasqu’il se considéraient plus brillant que ceux qui leurs avaient donné des leçons auparavant, et ainsi de suite...

Ils peuvent bien nous faire la morale du fond de leur cercueil. Sont-ils si intéressants qu’ils doivent nous infliger leur présence au monde futur à travers une progéniture verbale laborieuse ? Pis les pires, c’est ceux qui ont passé leur vie à perpétuer les morts-mots de leur vivant pis qui sont morts maintenant. Imaginez des morts discourir sur la vie d’autres morts comme s’ils avaient été ensemble à la petite école et qu’ils partageaient un secret entre eux. Imaginez qu’ils devaient peiner à comprendre qui ils sont, d’autant plus qu’ils feignaient de comprendre ce que les morts voulaient dire par là tout en semblant persuadés.
J’ai pris mon téléphone pour me payer la tête de Camus. Encore le répondeur :

· - « L’individu ne peut accepter l’histoire telle qu’elle va. Il déplorera le fait que je ne daigne pas répondre avec une impatience infantile prompte à un fanatisme destructeur. BIP !

- Ostie de pédant ! » clamais-je, hors de mes gonds. « Et pis quoi encore ? Tu vas me traiter de révolté, de nihiliste, de négationniste et de terroriste parce que mes convictions sont doctrinaires et donc, sans valeur ? Tu peux ben avoir lu cent millions de livres et en parler comme des confidences d’un ami. Tu devais manquer d’amis pour devoir te faire l’ami des morts. Pis en passant, ton prix Nobel, ça vaut pas de la marde ! »

J’ai raccroché, libéré de ces insultes gratuites qui auraient pu exploser dans la face de n’importe quel prix Nobel avec une grosse tête.

En déposant mon téléphone, je pris soudainement conscience. Quelle heure est-il ? Quel jour on est ? Depuis combien de temps suis-je perdu dans des bouquins poussiéreux ?

On est mardi, il est maintenant treize heures et je n’ai encore rien fait de ma journée. J’ai comme une petite fringale. Avant de manger, je suis sauté dans la douche. J’avais encore l’esprit envahit de songes philosophiques.

Maudit Camus ! Je ne rejette pas l’histoire. Je cesse simplement de m’en préoccuper pour me concentrer sur des nécessités plus immédiates. À quoi bon pleurer Jésus et l’implorer de nous aider ? Jésus ne peut pas nous aider à voter aux élections. Il ne peut pas nous apprendre à faire de la bicyclette. Il n’a jamais surfé sur Internet. Il ne peut pas choisir ma marque de dentifrice. D’ailleurs, il ne s’est probablement jamais brossé les dents. Dois-je faire confiance à quelqu’un dont l’hygiène buccale était douteuse ? Certainement pas lorsque des mots sortent de sa bouche. En sortant de la douche, j’entendis le téléphone sonner. En fait, je ne faisais pas que l’entendre ; il était effectivement en train de sonner. Comme l’arbre qui tombe en forêt que je sais pu s’il est supposé faire ou ne pas faire de bruit (là est la question) s’il n’y a personne pour l’entendre mais que c’est pas supposé être important de le savoir pasqu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, mais que c’est plutôt sensé vouloir signifier quelque chose sur la manière que l’on a de percevoir les évènements pis qu’on pourrait s’ostiner longtemps là-dessus.

Cet argumentaire exhaustif m’avait fait manquer l’appel. Après m’être habillé, je pris mon cellulaire pour vérifier si j’avais un message. En effet, c’était ce vieux croûton de Confucius :

« Le noble n’exige rien des autres et ne se plaint, ni du ciel, ni des hommes. Il craint que ses actes ne tiennent pas les promesses de son langage. Il évite de se perdre dans ce qui est loin et absent. Il se tient ici et maintenant, dans une situation donnée, au sein du réel. »

J’ai failli échapper mon téléphone, tellement j’étais stupéfait. Ça prenait bien une sagesse millénaire pour semer le doute dans mon esprit. Je devais me rendre à l’évidence ; je suis en train de reproduire ce que je déplore. Je porte des morts-mots comme un flambeau de rhétorique incendiaire. Pour convaincre qui ? Suis-je en train de revendiquer ma propre éternité ? Après ma mort, mes mots sentiront-ils le cadavre ? Qu’est qu’il me fallait faire ? Ah oui, manger. Et cesser d’écrire.

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